À qui profite le crime ?
Sur fond de guerre et de clash, sur les écrans et la bande FM, on se dit parfois que la violence est un multiplicateur du potentiel mercantile des produits dits culturels. On vous parle de bande FM, car en ce moment ce qui agite les ondes et accessoirement les adolescents, c'est bien sûr la bisbille entre les rappeurs Booba, La Fouine et Rohff. Dans le genre « à la fresh », on n'a pas fait mieux pour créer le buzz depuis le déhanché d'Alizée au début des années 2000. Il suffit finalement de tirer sur des voitures à la 22 long rifle pour faire monter l'attention qu'on vous porte, comme une focale intense qui ferait oublier tout le spectre d'un paysage. La star du film, n'est pas un personnage, mais un climat. Les maisons de disques s'en frottent les mains.
La banalisation de la violence, on en parle. C'est un sujet sérieux qui n'est pas uniquement débattu au bar du coin derrière une mousse par des philosophes alcoolisés, qui refont le monde à chaque poussée verticale (de pression) avant d'atteindre les étoiles. La violence comme objet d'interprétation du caractère psychique d'un individu, d'une œuvre ou d'un ensemble plus abstrait, revêt des formes multiples. Elle est toujours la réponse à une situation. Elle peut être un vecteur, un choix, ou une incapacité à traiter par d'autres moyens une situation ou un ensemble d'informations. Vaste programme, vaste champ d'exploration, et quand le débat s'invite à l’hémicycle, il s'appuie aussi sur des études psychologiques, psychiatriques voire même neuroscientifiques. Preuve de la malléabilité et l'intérêt (éthique) qu'elle joue dans la définition de la société moderne de demain.
Ainsi dans un compte rendu d'audition public en 2008, les députés de la Vienne et du Var, Alain Claeys et Jean Sebastien Vialatte rapportaient que « les neurosciences permettaient de caractériser des associations de plus en plus pertinentes et précises entre des cartes fonctionnelles d’activité cérébrale et des comportements individuels comme l’agressivité, l’impulsivité et la violence. Ainsi, dans les pays anglo-saxons, les neurosciences sont déjà sollicitées pour caractériser la responsabilité pénale. La demande sécuritaire de plus en plus forte incite d’ailleurs les gouvernements à rechercher des indicateurs biologiques de dangerosité de l’individu, ce qui pourrait conduire à des dérives inquiétantes ». Si la recherche est une issue pour comprendre et caractériser des processus mécaniques en vue de les interpréter, les comprendre et, à terme, de les gérer. Elle est aussi encadrée par le législatif et l'industriel, c'est peut être là aussi la part « inquiétante » qui trouble l'opinion publique.
Irréversible
Ces travaux cycliques s'invitent tous les ans dans l'actualité. Et tous, bien sûr, à leur niveau apportent un point de vue argumenté sur la façon de traiter du sujet. À chaque étude qui indique qu'il n'y a aucun lien entre produits dits « culturels » et la violence supposément engendrée chez les individus, il existe sa réciproque inverse à savoir que les liens sont avérés, voire même prouvés. Un ballet organisé selon la valeur des budgets que l'on accorde à chaque équipe de chercheurs pour entretenir une discussion aux quatre coins du globe. Une symétrie concordante qui permet de maintenir le débat à flot sur le plan éthique et qui permet de viabiliser les passerelles à créer pour la société de demain.
Si le public continue de consommer de « la violence », est-ce véritablement un problème moral ? La réponse de l'industriel est bien évidemment non. Celle de l'Historien aussi, surtout quand elle est mise en perspective avec l'l'Histoire des sociétés et de la Littérature. Mais jusqu'à quand ? Prenons l'exemple du cinéma, du Z au slasher, en passant par le midnight movie ou des genres bien plus institutionnels comme le film de guerre ou le polar. Le média a connu les problématiques similaires que ce soit dans l'interprétation de la violence ou le point de vue partisan de ses réalisateurs. Encore aujourd'hui certains films font les gros titres comme c'était le cas de « Sinister » en novembre dernier. Le public fait la part des choses, si « cinéma violent » ne signifie pas faire son apologie. Le public sait aussi que tout le monde n'est pas non plus prêt à regarder des scènes de violence gratuite. Évidence, quand tu nous tiens....
La violence, comme une TVA sur le luxe
Aux USA le discours est inversement proportionnel à la valeur que l'on accorde aux faits divers dans un journal dit sérieux, surtout ces derniers temps. Tout le monde se rappelle des faits tragiques survenus il y a quelques semaines à Newtown. En résultait alors un énième débat sur le lien entre violence et jeux vidéo.
Dernière sortie en date, la républicaine DebraLee Hovey législatrice du Connecticut, et accessoirement élue de Newtown, a déposé un nouveau projet de loi portant sur « l'établissement d'une taxe sur les ventes de certains jeux vidéos » . Il va sans dire que les jeux visés ici ne sont pas des simulations d'élevage de chevaux ou des « Serious-Games » sponsorisés par des multinationales, mais bien des jeux classifiés comme « Mature » par l'ESRB (donc destinés à des adultes). Ces jeux seraient taxés à hauteur de 10% et l'argent recueilli servirait à « informer les familles sur les signes avant-coureurs de la dépendance aux jeux vidéo et comportements antisociaux » sic.
Quels effets sur le public ? En juger serait présomptueux, mais il semblerait que le Connecticut ne soit pas le seul État à vouloir démocratiser la procédure. L’Oklahoma, la Pennsylvanie, le Wisconsin et le Nouveau Mexique semblent aussi vouloir se diriger vers une telle mesure. Le marché américain du jeu vidéo a généré près de 14,80 milliards de dollars en 2012 , un marché juteux qui même s'il est en baisse d'une année sur l'autre pourrait rendre la taxe attrayante à plus d'un titre.
Plus de liberté pour passer l'arme à gauche
Imaginer pouvoir régler un problème en faisant de la prévention est peut être un doux rêve de politicien, mais c'est aussi une mesure que la population américaine semble attendre de ses élus. Les vocations en politique sont aussi pragmatiques qu'elles peuvent être générées par l'actualité du moment. Et pour la taxation encore plus renforcée des armes de guerre aux USA, faudra–t–il attendre plus longtemps ? Le clan républicain ne semble pas s'être encore penché sur la question.
Ou plutôt à sa manière, puisque le responsable est tout trouvé pour une partie de l'opinion publique. Lors d'un récent sondage qui a été réalisé à partir d'une interview téléphonique automatique auprès de 800 électeurs républicains âgés en moyenne de plus de 45 ans (72% des votants ayant plus de 45 ans). À la question : « Quelle est la plus grande menace à la sécurité dans le pays : les armes ou les jeux vidéos ? », près de 67% des intéressés se sont dits plus effrayés par les jeux-vidéos. Imaginons donc, dans un autre contexte, que pour certains accidents de la route ce ne soient ni la vitesse, ni l'alcool qui pourraient être mis en cause. Irait-on jusqu'à laisser entendre que ce sont les chansons diffusées dans les auto-radios des véhicules incriminés, les principaux éléments déclencheurs de nombre de tragédies ? Au pays des Libertés, on légifère sur tout, rien n'est impossible jusqu'à ce qu'on puisse démontrer le contraire.
Un encadrement de la violence est ainsi souhaité par les politiques américains. «Le Congrès devrait financer la recherche scientifique sur la relation entre la culture populaire et la violence armée, tout en veillant à ce que les parents aient accès à l'information dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées sur ce que leurs familles regardent, écoutent et jouent ». C'est ce qu'affirme Mike Thompson. La violence, dans ce registre d'idée, est toujours conditionnée par des phénomènes extérieurs à la détention d'une arme à feu. Elle est traitée comme le résultat d'une consommation d'imageries issues de la culture populaire où causes et effets se mêlent. De son côté le réalisateur de « Bowling for Colombine » Michael Moore réagit « La seule manière d'honorer ces enfants morts (ndlr : en parlant des événements tragiques récents aux USA) est d'exiger une réglementation stricte des armes, un accès libre aux soins psychiatriques et la fin de la violence comme programme de politique publique ».
Sous les effets des récentes affaires qui ont secoué ponctuellement le paysage politique américain, nombre de sénateurs, de députés ou de gouverneurs se sont engouffrés dans la brèche. La sénatrice Toni Nathaniel Harp s'est dite ainsi prête à se battre pour interdire aux mineurs américains les jeux « violents » et les « shooters ».
« Vendez une arme, sauvez un bébé ». En 2004, Lula et l'ancien président de la République française Jacques Chirac lançaient l’idée d'une taxe sur l'armement pour nourrir la planète. Aux États-Unis 300 millions d'armes à feu sont en circulation dans le pays. 30 000 personnes meurent chaque année sous les balles (suicides inclus). Vous qui lisez Millenium et êtes joueurs, jusqu'à preuve du contraire vous n'avez jamais tué personne. Par un syllogisme simple, nous pourrions presque en conclure que vous n'êtes pas américain.