Mud : Aprés la tempête, le calme
Réalisé par Jeff Nichols
Avec Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Jacob Lofland, Reese Witherspoon
Bande-annonce
Après la baffe que l’on a prise avec grand plaisir lors de la sortie de Take Shelter, Jeff Nichols était attendu pour cette troisième réalisation. Après avoir filmé son Arkansas natal dans Shotgun Stories puis les immenses plaines de l’Ohio dans Take Shelter, Mud nous amène dans les étendues sauvages et inondées du Mississippi ainsi que dans les villes tristes et désuètes de cet état cabossé des États-Unis. Il apparaît d’emblée que le style est plus classique, moins électrisant, complexe et perturbant que son précédent film.
C’est lorsqu’ils se rendent en barque à moteur sur une île du coin que Ellis et Neckbone, deux enfants de 14 ans, découvrent un bateau piégé entre les arbres après une montée des eaux. Relevant presque de l’imagerie du rêve, cette très belle trouvaille les amènera à rencontrer Mud (littéralement « boue »), incarné par un Matthew McConaughey décidément de plus en plus convaincant. Un personnage énigmatique ; flingue à la ceinture, tatouage de serpent au bras et crinière ébouriffée, visiblement recherché par la police locale. Est-il digne de confiance? Les deux amis pensent que oui. Et comme dans Take Shelter, le cinéaste aussi. Ensemble, les enfants vont entamer leur apprentissage de la vie. Premières expériences et désillusions amoureuses, effondrement de l’icône parentale, dureté du quotidien et conséquences de ses actes, ce film retrace avec complexité ce parcours initiatique, tout en restant très simple et accessible. Cette île, c’est également leur lieu de fuite et de retrouvailles. Hors des conflits parentaux, des peines de cœur et de la dureté de la ville. Petit à petit, ils essayent de redonner vie à ce bateau afin que Mud puisse échapper aux soucis dans lesquels il s’est embarqué avec sa bien-aimée.
Le jeune Ellis, joué par Tye Sheridan déjà vu dans Tree of Life de Terrence Malick, est étonnant. Un visage pur, innocent, accompagné d’une justesse d’interprétation afin d’incarner parfaitement l’enfant imaginé par Nichols. Le travail effectué sur les seconds rôles amène un atout de plus à l’œuvre, rien ni personne n’est laissé au hasard. Abordé avec soin par le réalisateur, chaque personnage amène son lot de symbole et d’intérêt pour le spectateur. On note principalement Reese Witherspoon, petite amie sexy complètement perdue, Michael Shannon, acteur fétiche du réalisateur incarnant ici l’oncle pêcheur du jeune Neckbone, et Sam Shepard, le père adoptif, bourru, mais bienveillant.
Nichols opère ici de façon plus sobre dans sa mise en scène pour dépeindre le passage de l’enfance à l’âge adulte. Plans fixes, légers panoramiques et surtout beaucoup de fluidité via la steadicam, le changement de style colle parfaitement à son sujet. Outre une scène que l’on qualifierait « d’action » au sens communément entendu, le reste du film prend son temps et offre une approche sensible aux thèmes qu’il aborde. Le cinéaste puise ses influences dans la culture et le folklore américain, où Mud serait le symbole d’une liberté totale. On ne retrouve presque pas le climat de mysticisme ambiant vu dans son précédent film. Baigné par une lumière chaude et diffuse, les passages sur l’île entourée d’une végétation discrètement audible, mais bel et bien présente amènent un apaisement qui semble s’étirer pendant plus de deux heures. Le film est doux, poétique, épris de quelques fulgurances dans son dernier tiers, mais agréablement paisible dans l’ensemble. Il regorge également de petites subtilités qui font un grand tout. Ces personnages négligés aux ongles crasseux sans pour autant être de grosses brutes et ces maisons flottantes où l’on découvre la vie de bord de rive. Et puis cette île, ce bateau suspendu, l’apparition inexplicable et inexpliqué de Mud, toutes ces choses qui viennent s’emboîter pour former un récit maîtrisé , une fable sur l’Amérique profonde.
Le film se centre (encore) sur le rôle de la figure paternelle, présente ou disparue. C’était le cas avec les trois frères de Shotgun Stories, puis Curtis LaForche, père et mari épris de vision apocalyptique, irradiant sa famille dans Take Shelter. Le père d’Ellis, enchaîné dans sa relation avec sa femme, offre un contraste par rapport à au personnage incarné par McConaughey, homme transpirant la liberté et l’amour inconditionnel. L’un des personnages, contribuant au mythe, nous dit qu’ « il n’a pas de mère ni de père. À 10 ans, il est sorti de la forêt ». Mud va devenir une figure paternelle aux yeux d’Ellis, une source de réconfort et de motivation auquel l’enfant se rattache. Mais le schéma va s’inverser alors qu’Ellis découvre la dureté et l’hypocrisie du monde adulte, et réalise que l’homme qu’il essaye d’aider depuis plusieurs jours est en réalité un homme comme tous les autres, vulnérable, sujet aux erreurs et aux mensonges. C’est par un acte salvateur que ce dernier saura rendre la confiance qui lui a été donnée, afin de grandir, lui aussi.
Jeff Nichols confirme ici qu’il est un des cinéastes américains les plus prometteurs de sa génération. À la fois légère et complexe, traversée par les sentiments et toujours à hauteur d’enfants, l’œuvre est une réussite totale. Les deux heures filent paisiblement à l’image de ce fleuve languissant qui vient border l’évolution de l’enfance vers l’âge adulte, de l’innocence au mensonge, où grandir signifie aussi avoir foi en ses rêves d'enfance.
Clément Panadero
