On le voit depuis longtemps sur certains jeux, depuis peu sur d'autres: le sport électronique est largement dominé par les joueurs d'origine coréenne. Que ça soit Starcraft 2 ou League of Legends, les joueurs venus de la république de Corée du Sud ont absolument tout raflé: MLG, Dreamhack, WCS, LCS, WCG, IeSF, Asus Rog et IEM (sauf Singapour, tournoi LoL gagné par Invictus Gaming, équipe chinoise).
Bref, le monde se fait rouler dessus
Face à une telle domination, il est peut-être temps d'en savoir plus sur le fonctionnement de ce pays, 12ème puissance économique mondiale.
Qu'est-ce que la Corée?
Située entre la mer jaune et la mer du Japon, la Corée du Sud est une république d'Asie de l'Est. Séoul, sa capitale est la troisième mégapole la plus peuplée du monde avec plus de 25 millions d'habitants pour une population totale du pays d'environ 50 millions.
La mégalopole de Séoul
Son système politique est assez similaire à celui de la France. Un président élu pour cinq ans et un parlement élu pour quatre ans. Depuis février 2013, c'est une femme qui tient la présidence: Park Geun-hye, fille de l'ancien dictateur militaire Park Chung-hee qui avait prit les rênes du pouvoir en 1961 et qui a dirigé le pays jusqu'en 1979.
C'est suite à la seconde guerre mondiale que la péninsule coréenne fût divisée en deux à la hauteur du 38ème parallèle. Le nord resta aux mains des forces soviétiques alors qu'au sud les USA laissèrent des forces d'occupation. Depuis la fin de la guerre de Corée, en 1953, on compte bon nombre d'incidents et d'attentats entre les deux pays.
Les coréens baignent dans une "culture de la réussite". L'étudiant coréen n'a pas le droit à l'échec et l'objectif principal des jeunes c'est le passage de l'examen d'entrée à l'université, graal qui permet l'accès à une vie heureuse. Les familles s'endettent pour que les enfants puissent percer et aller dans les meilleures écoles. En gros, le bonheur, c'est une réussite professionnelle.
Du coup, au sein de l'eSport coréen, deux profils vont se dégager:
- Les "Marineking", enfant brillant à l'école qui découvre le RTS, avec Broodwar, à la télévision et qui veut devenir professionnel. Ses parents le veulent juge ou avocat mais il s'obstine à jouer et ce n'est que lorsqu'il gagnera un tournoi majeur dans sa vie que ses parents vont le soutenir. Ils lui demandent alors, s'il doit être joueur professionnel, d'être le meilleur au monde (véridique). Son père ne l'appellerait d'ailleurs plus que par son pseudonyme.
- Les "MVP", étudiant médiocre que ses parents vont pousser dans une carrière de joueur professionnel après de nombreux succès dans des tournois amateurs sur BroodWar. On raconte que ses parents l'auraient inscrit dans une école pour joueur professionnel afin qu'il progresse plus rapidement.
Innovation, un pur produit coréen
Aujourd'hui, ce système d'éducation coréen est remis en question par les jeunes. Il faut savoir aussi que cette volonté de réussite engendre tellement de coûts pour les familles qu'elles n'ont pas les moyens de faire plusieurs enfants, ce qui engendrera des problèmes démographiques importants dès 2030.
Au niveau des sports, le sport électronique est le deuxième plus regardé, juste derrière le Baseball.
La Corée, pays hyper connecté
La Corée du sud est aussi appelée la "République Samsung". Si aujourd'hui le pays est aussi avancé dans bon nombre de domaines, c'est probablement grâce au géant "trois étoiles" (Samsung en coréen). L'entreprise est tellement puissante que le pays amnistie son dirigeant, plus grosse fortune du pays lorsqu'il trempe dans des affaires de corruption et de fraude fiscale.
Samsung, c'est aussi la fierté du pays, et sa devise interne n'est autre que "Servir l'entreprise, c'est servir le pays".
La tour Samsung, tout un symbole
Il se dit que la Corée est le pays le plus connecté du monde. Le gouvernement du pays a investi massivement dans les années nonante pour les réseaux de communications. Aujourd'hui, on compte environ 18 millions d'abonnés à la fibre optique sur 50 millions d'habitants.
En 2008, les autorités de la République de Corée ont décidé de soutenir le gaming. Pour cela, le pays a soutenu pas moins de soixante nouveaux projets en lien avec le jeux-vidéo pour un montant de plus de 190 millions d'euros (237 millions CHF). Ce n'est pas moins que le ministre de la culture qui a lancé cette idée avec l'espoir qu'ainsi les jeux-vidéo coréens atteignent les USA et le Japon.
Ce qui a vraiment lancé le jeux-vidéo en Corée, c'est la création de "PC Bang", dans les années quatre-vingt-dix, cybercafés coréens dans lesquels la majeure partie de la population se rend pour jouer. Avec eux, naît l'addiction aux jeux vidéos. On a tous en mémoire les tragiques morts de joueurs restés, parfois, jusqu'à cinquante heures sans subvenir à leurs besoins physiologiques.
Les Cybercafés sont très présents.
Les coréens sont très friands de MMORPG, ce qui mène une partie de la population à l'addiction. Le pays, d'un autre côté, investi aussi massivement pour contrer ce phénomène et crée des centres de réhabilitation, des camps "non-connectés" et autres méthodes pour tirer la jeunesse de cette tourmente.
Il faut savoir que le lancement des "PC Bang" coïncide avec une crise financière, ainsi, les développeurs, conscient qu'ils ne vendraient pas leur jeu directement aux joueurs (à cause du prix des ordinateurs trop élevé) ont investi dans ces salons de jeu et ont ajouté des avantages IG pour les joueurs lorsque leur jeu est lancé depuis un poste de d'un salon de jeu (xp boost, plus d'argent virtuel gagné en récompense, objets inédits, etc.). Cela a largement incité les gens à venir jouer dans ces lieux. Mais les MMO inquiètent plus les autorités qu'autre chose. D'où la mise en place d'une loi pour empêcher que les jeunes de moins de 18 ans ne puissent jouer entre minuit et 6h du matin.
La stratégie gagnante
C'est l'arrivée de Starcraft qui va précipiter le Corée dans l'eSport. Depuis 2000, le gouvernement a reconnu le sport électronique comme sport national, et soutien la KESPA, comme nos gouvernements européens soutiennent la FIFA, l'UEFA ou les fédérations de tennis, judo etc.
L'officialisation comme sport par les autorités a contribué au sponsoring: les différents partenaires, voyant une institution étatique soutenir un domaine nouveau, ne pouvaient pas être plus rassurés pour injecter des millions, eux aussi, dans la machine du sport électronique. En quelques mois, l'eSport est devenu incontournable, même sur les chaines de télévision nationales, et offrait aux sponsors et aux joueurs une visibilité énorme.
Être un professionnel de l'eSport en Corée, c'est un choix de vie. Alors qu'en Europe est aux USA on se laisse un ou deux ans pour percer , en Corée c'est un choix de carrière qu'on voit sur le long terme. Un "Nestea", c'est plus de huit ans de carrière dans l'eSport. C'est aussi et surtout un grand frère pour son équipe qu'il conseille et avec laquelle il partage absolument toute sa vision du jeu et ses stratégies.
Lors d'une interview sur CNN, Nestea a avoué que ce qui faisait la force d'une équipe coréenne, c'est la proximité entre les joueurs, l'échange qu'ils ont sur le jeu depuis le plus jeune âge grâce aux PC Bang, le fait qu'ils s'entrainent religieusement et qu'ils se considèrent entre eux, comme une famille.
Derrière chaque équipe, il y au moins un coach mais plus souvent deux ou trois personnes pour l'encadrement des joueurs. Ils contrôlent les plannings des joueurs, surveillent leurs phases d'entrainement, regardent avec eux quelles sont leurs faiblesses et comment pourraient-ils s'entrainer pour améliorer certains points de leur jeu. Ils les poussent à avoir une vie saine. Une bonne partie des coachs sont aussi licenciés en psychologie du sport et ont donc une connaissance réelle de ce qu'est le coaching sportif.
Conclusion
Nous avons pu voir vraiment l'engouement d'un pays pour la discipline qu'est l'eSport. Les coréens ont décidé d'en faire "quelque chose de vrai", reconnu, soutenu par l'état et très attractif pour les sponsors.
La discipline asiatique, la compétitivité qui existe dans la société coréenne et la recherche de la perfection ont aussi eu un impact sur l'évolution de l'eSport. Ces gens ne jouent pas, ils travaillent.
Il est certain que la Corée n'est pas au top niveau dans tous les jeux. Les FPS, les jeux consoles ou encore Dota 2 ne sont pas, et de loin, dominés par les équipes coréennes. Cela sera peut-être le cas si un jeu prend son envol au pays du soleil levant, mais les coréens sont quand même très influencés par les notions de "mode". Ainsi, que ça soit pour leurs vêtements ou les technologies, il est de notoriété publique que tout ce qui marche en Corée est d'abord passé sur un blog, souvent sponsorisé par la marque en question.
Est-ce ainsi que League of Legends a percé en Corée si rapidement? Je ne peux pas en être certain, mais si des grandes marques le font pour des habits ou des téléphones, pourquoi est-ce qu'une marque de jeu n'utiliserait pas ce vecteur, très influent sur la population...
Les joueurs coréens au sommet sur LoL
En Corée, on est catégorisé du début à la fin: l'origine sociale, le groupe sanguin, les diplômes tout ceci vous donne votre valeur en tant qu'humain. Ainsi, si vous n'êtes pas né dans une famille aux mœurs irréprochable, que votre groupe sanguin est AB et que vous n'avez pas pu entrer à l'université, votre vie est compliquée: vous êtes globalement rejeté par la société.
C'est là qu'intervient aussi l'eSport, apportant à des personnes n'ayant pas les meilleures prédispositions génétiques, familiales et intellectuelles une porte de sortie et une occasion de montrer leur valeur.
Mais combien de jeunes, qui s'entrainent depuis l'âge de 11 ans à Starcraft, percent réellement? A mon avis, très peu.
Il est évident que la république de Corée a un avantage considérable sur les sociétés occidentales dans sa conception de l'eSport et dans les moyens qu'elle met à disposition des joueurs. Mais il n'est pas impossible qu'un pays d'Europe, voyant le succès grandissant de la discipline chez nous, ne donne l'impulsion qui lancera le sport électronique dans une nouvelle dimension.
Concernant l'encadrement des équipes occidentales, il est peut-être temps de franchir le pas et d'engager des personnes capable de coacher d'une façon professionnelle. Après, il est clair, il y a des teams comme Fnatic, des joueurs comme Naniwa, Scarlett et des Stephano qui peuvent prendre le dessus ou qui ne sont vraiment pas loin des performances des coréens. Et tout ce que l'on peut souhaiter, c'est qu'il y ait toujours plus de foreigners au plus haut niveau, non seulement pour que la fierté ne revienne pas qu'à une seule nation, mais aussi pour la beauté du jeu!
Car, au fond, du beau jeu, c'est tout ce qui nous intéresse non? Après, que le gagnant soit d'une origine ou d'une autre, au fond, c'est un humain...
(Merci à ceux qui sont adeptes des théories du complot ne de pas imaginer que les joueurs coréens sont des robots!)
Swice.
