Le succès croissant des plates-formes de téléchargement légales de jeux vidéo, Steam en tête, n’est plus à prouver. Les raisons de cette réussite sont simples : l’absence de magasin, de vendeurs, d’espace de stockage et de production du support matériel entraine une réduction drastique des coûts de fonctionnement. Pour le consommateur, le fait d’acheter depuis son domicile ainsi que la non-existence d’un marché de l’occasion pour les copies dématérialisées font aussi partie des facteurs déterminants.
Ce qui nous va nous intéresser tout au long de cet article, c’est de savoir si les grands acteurs du téléchargement de jeux vidéo sont en droit de nous empêcher de revendre nos jeux dématérialisés.
La revente de jeux vidéo : une pratique ancienne
La vente d’occasion de jeux vidéo est presque aussi vieille que le jeu vidéo lui-même. Quasi inexistante sur PC, il s’agit d’une pratique toujours largement ancrée dans les esprits concernant les jeux console.
Elle permet en effet de compenser le prix élevé des jeux Xbox 360 et PS3 : sur un jeu payé 70 euros, l’acheteur aura l’espoir d’en récupérer 30 ou 40 lors de la revente. Certaines enseignes telles que Micromania se sont même posées en intermédiaire entre acheteurs et vendeurs, notamment avec un système d’abonnement appelé le Gamers Club, qui octroie des avantages lors de la revente de jeux d’occasion.
Avec l’avènement de la vente de jeux dématérialisés, ce marché a commencé à vaciller puisque les différentes plates-formes de téléchargement, d’abord sur PC puis sur console, ont refusé d’instaurer un système de revente qui aurait été, il faut bien l’avouer, contre leurs intérêts. En effet, il est bien évidemment préférable pour eux que les joueurs leur achètent directement les jeux et ne se les revendent pas entre eux. D’autant plus qu’un jeu dématérialisé, contrairement à un jeu attaché à un support matériel, ne souffre d’aucune usure, ce qui constitue un avantage certain pour le second acheteur.
La revente de jeux vidéo dématérialisés possible en théorie
En droit, la Cour de justice de l’Union européenne a affirmé le 3 juillet 2012 que la vente pouvait porter sur un bien incorporel , tel qu’une copie de jeu vidéo dématérialisée.
Cela peut sembler anodin, mais il n’en est rien.
En effet, en propriété intellectuelle, il existe une théorie appelée théorie de l’épuisement des droits, qui veut que dès lors qu’un auteur consent à vendre une œuvre sur le territoire de l’Union européenne, il ne puisse plus s’opposer à sa commercialisation.
Je m’explique par un exemple concret : si une société de développement ou d’édition de jeu vidéo se met à vendre un jeu en boite en France (en personne ou bien en passant par un revendeur), n’importe qui peut acheter des copies et les revendre n’importe où sur le territoire de l’Union européenne.
Si on suit la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne évoquée plus haut et qu’on imagine que le développeur/éditeur passe par une plate-forme de téléchargement sur laquelle il vend des copies dématérialisées de jeux vidéo, dès lors que cette plate-forme est accessible sur le territoire d’un État membre de l’Union européenne, la revente d’occasion doit être permise.
Bien sûr, comme dans une vente d’occasion classique, celui qui vend doit se déposséder du bien, ce qui signifie ici qu’il est sensé détruire la copie d’origine de son jeu après en avoir livré une au second acheteur.
Un marché de l’occasion inexistant en pratique
D’un point de vue pratique, il faut admettre que les plates-formes de téléchargement légales ne favorisent pas l’émergence d’un marché de l’occasion puisque l’utilisateur est bien souvent forcé de s’y créer un compte auquel sera rattachée l’intégralité des jeux. Ainsi, il ne peut se séparer d’un jeu sans renoncer à l’usage de son compte. Dans la large majorité des cas, les conditions d’utilisation de la plate-forme de téléchargement empêchent par ailleurs l’utilisateur de se séparer de son compte au bénéfice d’un tiers.
Si l’on examine les conditions générales d’utilisation de Steam, la plate-forme de téléchargement de Valve, on remarque que celles-ci précisent que « Les logiciels sont concédés sous licence, et non vendus ». Il en est de même pour Origin, la plate-forme d’Electronic Arts ou Battle.net, celle de Blizzard.
On paye donc pour pouvoir utiliser le jeu et non pour en posséder une copie.
La nuance est de taille, car une concession sous licence, si elle permet une utilisation du logiciel, ne confère pas un droit de propriété sur celui-ci et empêcherait par conséquent l’utilisateur qui l’a payé de le revendre. Il est d’ailleurs explicitement précisé, plus loin dans les conditions générales de Steam, que l’utilisateur n’est pas autorisé à vendre des logiciels à des tiers d’une quelconque manière.
On peut tirer une première conclusion de tout cela : en payant un jeu sur Steam, on dispose sur celui-ci de moins de droits que si on l’avait acheté en magasin. En fait, ce que Valve nous explique blanc sur noir dans ses conditions générales, c’est qu’on ne dispose d’« aucun droit ».
Fait intéressant, comme il s’agit d’une licence résiliable, Steam peut retirer selon son bon vouloir, à tout moment et à tout utilisateur, l’autorisation d’utiliser le logiciel. Là, on peut même se poser la question de savoir si l’utilisateur n’est pas en droit de demander l’annulation en justice de sa commande pour défaut de cause puisqu’il paye pour une prestation à laquelle Steam peut mettre fin à sa guise.
Cependant, la Cour de justice de l’Union européenne est venue dire qu’elle assimilait à une vente le fait d’octroyer pour une durée illimitée l’usage d’un bien. Les conditions d’utilisations de Steam ne précisant aucune date limite à la licence concédée, on peut en déduire qu’il s’agit d’une vente, qui donne par voie de conséquence le droit à l’acheteur de revendre le bien. La revente de jeux Steam sur le marché de l’occasion devrait donc bel et bien être possible. La solution est exactement la même concernant les jeux achetés en boite et activés en ligne.
L’argument de Valve semble être de dire qu’en tant que diffuseur, il n’est pas auteur des jeux proposés et n’a en conséquence pas à observer la théorie de l’épuisement des droits, et peut donc s’opposer à une revente. Cette défense est un peu tirée par les cheveux, d’autant plus que l’épuisement des droits concerne aussi les ayants droit, ce que semble être Valve.
Les consoles next-gen
Après avoir annoncé qu’aucun jeu Xbox One, qu’il soit dématérialisé ou en format boite, ne pourrait être revendu, Microsoft s’est ravisé et a précisé que, si les jeux téléchargés ne pourraient faire l’objet d’une revente, les joueurs auraient la possibilité d’échanger librement les jeux en boite, comme c’est le cas aujourd’hui sur Xbox 360, PS3 et bientôt sur PS4.
Là encore, lorsque Microsoft et Sony vendent des jeux sur leur store, il y a de fortes chances pour que ces sociétés agissent en qualité d’ayant droit et ne puissent en conséquence interdire la revente des jeux sur le territoire de l’Union européenne. La pratique n’est pas nouvelle, mais elle perdure malgré son inadéquation avec une jurisprudence européenne datant de l’année dernière.
Pour conclure
En conclusion, on peut dire que, si la revente d’une copie de jeu vidéo dématérialisée est autorisée, sa mise en pratique est annihilée par le mode de fonctionnement des plates-formes ayant pignon sur rue. La Verbraucherzentrale Bundesverband, équivalent allemand de l’UFC Que Choisir, a d’ailleurs intenté une action conte Valve afin d’obtenir la possibilité de revendre les jeux, qu’ils soient acquis en format boite ou bien par téléchargement. Nous restons donc dans l’attente d’une décision qui pourrait bien faire date.
Lamestar