
Si les exemples précédents démontraient le pouvoir positif que peuvent parfois avoir les joueurs sur l'évolution d'une série, l'actualité de l'année 2012 nous a donné l'occasion de nous délecter d'un feuilleton médiatique particulièrement captivant. En effet, le début de l'année a été marquée par la sortie de Mass Effect 3, le supposé dernier volet d'une trilogie marquante de cette génération de consoles. Outre des défauts dans le gameplay même du jeu, c'est le scénario, et plus précisément sa fin, qui ont choqué la communauté de fans du RPG space-opera de Bioware. Au point qu'une véritable marée d'internautes s'est soulevée face au studio pour demander, ni plus, ni moins, que la réécriture totale de ce passage.

Des énervements à l'encontre d'un titre mal terminé, il y en a eu. Des pétitions en ligne, de l'agacement sur les réseaux sociaux et du troll envers les développeurs aussi. Mais ce qui est interpelle dans cette affaire, c'est que Bioware, face à cette levée de boucliers, s'est agenouillé sans résistance, promettant de relancer le développement du jeu via un DLC gratuit. Une réaction inattendue, qui amène surtout des questions. S'il est évidemment compréhensible que chacun ne soit pas sensibilisé de la même manière par une histoire et son déroulement, a-t-on le droit de demander si violemment sa réécriture ? Puisqu'il s'agit d'un jeu vidéo, d'aucuns n'y voient là qu'une œuvre légère que l'on compose à sa sauce. Mais il suffit de retranscrire cela à la littérature et au cinéma : il paraîtrait inconcevable qu'un auteur ou un réalisateur, rallume les caméras ou reprenne son stylo pour modifier la fin de son oeuvre. Une fin est un choix artistique, une réflexion personnelle que l'on partage à tous, mais qui reste choisie. Comme si nous n'avions pas accepté la mort de Dumbledore et qu'il fallait que J.K. Rowling et Warner modifient cet arc narratif. Invraisemblable.

La portée de cette affaire ne s'arrête semble-t-il pas à ces quelques semaines d'agitation, puisque le 8 novembre dernier, Casey Hudson, le producteur exécutif de la série a tweeté une confirmation toute particulière de la suite de Mass Effect. Outre le fait qu'il officialise par la même occasion un nouvel épisode de la saga, il va surtout demander sans détournement ce que souhaiteraient voir les fans dans cette nouvelle production : « Nous sommes au tout début du développement d'un tout nouveau jeu Mass Effect. Que voudriez-vous voir dedans ? ». S'en suit une quinzaine de jours plus tard un autre tweet encore plus dérangeant : « Seriez-vous plus intéressé par un jeu qui prend place avant la trilogie, ou après ? ». Autant dire que Casey offre carrément la possibilité aux joueurs de créer un Mass Effect sur mesure. On ne saura évidemment jamais si tout ceci est un long chemin de la rédemption pour Bioware, après la polémique autour de Mass Effect 3, ou bien une véritable nouvelle source d'inspiration pour les développeurs, qui se traduira par un jeu pensé par les joueurs. Toujours est-il que cette disposition du développeur pose de nombreuses questions. Le poids des joueurs dans le développement des jeux, s'il grandit à mesure que l'industrie croit, est à n'en pas douter une bonne chose, mais la ligne jaune n'est-elle pas franchie dans ce genre de situation ? De source d'inspiration, le joueur, qui n'est finalement qu'une cible, ne freine-t-il pas dans ce cas précis, le développement ? La remise en question de notre rôle est total.


