Édito : À quoi sert la Steam Box?
Alors que la sortie des consoles nouvelle génération approche à grands pas, l'entreprise qui incarne probablement le mieux le jeu sur PC au sens large a décidé de faire ses propres annonces, je parle évidemment de Valve et de sa plateforme de distribution de jeux en ligne : Steam. Cependant, avec leur série d'annonces récentes généralement regroupées sous le nom de Steam Universe, comprenant la fameuse Steam Box qui n'est ni un PC ni une console, le Steam OS basé sur Linux, et la manette à l'apparence étrange, il peut être difficile de saisir ce qu'ils cherchent à accomplir, et plus difficile encore de juger s'ils rencontreront le succès escompté. À défaut de réponses définitives, je vous propose ici quelques explications, et une tentative d'analyse de leur potentiel.
Beaucoup d'annonces, beaucoup d'idées, beaucoup d'images, mais un message qui n'est au final pas bien passé et qui n'a pas souvent été compris.
Consoles vs. PC
Pour comprendre la politique de Valve, il faut tout d'abord la replacer dans le contexte actuel. Depuis un certain nombre d'années, beaucoup considèrent qu'il y a un déclin du jeu sur PC face aux consoles et autres supports. Les raisons sont, entre autres :
- La plus grande facilité supposée pour jouer sur console. Il est vrai que sur PC, il est nécessaire d'assurer la compatibilité matérielle et logicielle de la machine, ce qui doit se faire manuellement, alors que ceci est « assuré » et géré automatiquement sur les consoles.
- Le prix. Alors que le prix d'une console actuelle est entre 150 et 300 euros, et que le prix des nouvelles consoles culminera à 500 euros, les PC de jeu dépassent souvent allègrement les 1000 euros simplement pour la tour, avec un budget périphérique bien supérieur en moyenne.
- Une politique d'exclusivité console agressive menée par les éditeurs : le PC n'a que proportionnellement peu d'exclusivité dans les jeux triples A (les blockbusters sur-médiatisés), et celles-ci sont davantage dues au format du jeu qui ne se prête pas au pad, plutôt qu'à une volonté propre de le réserver à nos machines. Une des raisons justifiant ce choix est la proportion plus faible de jeux piratés sur consoles, et les marges bénéficiaires plus importantes.
- Le manque d'innovation et d'évolution des PC. Bien qu'ils soient toujours plus puissants, les PC n'ont pas connu d'évolution majeure ces dernières années, et les jeux échouent généralement à rentabiliser certaines de leurs spécificités, comme la gestion intelligente de base de deux écrans ou plus.
- L'aspect social. Alors que le PC est généralement dans le bureau ou la chambre, les consoles sont souvent dans le salon. De plus les jeux permettant de jouer à plusieurs en local sur PC sont extrêmement rares (même en Lan à présent), beaucoup préfèrent aussi jouer affalés dans leur canapé plutôt que dans leur chaise de bureau.
Le Steam Universe est une tentative de réponse à plusieurs de ces points, cependant il reste à voir quels sont ses arguments et s'ils sauront être plus convaincants que les consoles qu'elle prétend concurrencer.
Steam saura-t-il faire la liaison entre toutes les machines et tous les types de jeu?
SteamOS - Une promesse de gratuité et de liberté?
Une étape importante dans le projet de Valve est à la fois de réduire les coûts, de ne pas avoir à subir d'ingérences d'une entreprise extérieure, et d'avoir un programme assez souple pour faire la jonction entre des machines très différentes, contrairement à l'unicité du marché console. Comme nous parlons de jeu sur PC et Mac, seuls trois noms d'OS pouvaient venir en tête, c'est à dire Windows, dont les licences coûtent cher, Mac qui est réservé aux machines d'Apple, et Linux qui est gratuit et modulable mais qui demande à l'utilisateur de mettre les mains dans le cambouis (si je puis dire). En choisissant Linux comme base pour son SteamOS, Valve n'aura donc de comptes à rendre à personne, et ses utilisateurs pourront le télécharger gratuitement et légalement. De plus, on peut probablement compter sur l'ouverture du programme afin que la communauté puisse le personnaliser et l'améliorer à volonté.
Sur une note parallèle concernant Linux, Nvidia semble avoir compris le message dans tous les cas, puisque le célèbre constructeur de cartes graphiques a annoncé qu'il allait à présent publier des instructions afin d'aider à la création de drivers Linux pour ses produits, ce qui aux yeux de beaucoup est un grand pas en avant.
Pour le côté pratique du SteamOS, sa principale fonctionnalité est de gérer une grande nouveauté dans le monde du jeu PC, une nouveauté qui avait déjà été envisagée sur consoles, et qui est prévue sur PlayStation 4 et PS Vita : le streaming des jeux. L'objectif est de faire tourner vos jeux sur votre machine principale, de les streamer (via votre Wifi par exemple), et d'y jouer dans votre salon sur votre Steam Box et votre télévision. Le SteamOS doit donc se charger de cela, en servant d'interface. Le principal défi que devra relever cette technologie est la latence, puisqu'ici nous parlons d'une exécution à distance entre deux machines via une connexion qui sera souvent sans fil.
Amener le jeu PC dans le salon est une bonne chose, surtout quand il est accompagné de nombreuses fonctionnalités Steam, et de nouveautés assez similaires à celles des consoles next gen. Citons entre autres la possibilité de s'en servir pour écouter de la musique, regarder la télévision ou des films, la gestion en cloud des sauvegardes, et la disponibilité de votre liste d'amis Steam. Si vous n'avez pas d'amis sur Xbox Live ou le PSN, il est certain que vous aurez davantage tendance à privilégier Steam au moins en multijoueurs si la majorité de vos amis sont dessus.
Valve a aussi insisté sur le fait qu'ils travaillaient en étroite collaboration avec les développeurs afin d'exploiter au mieux le potentiel de leur OS et de leur projet. Bien que rien de concret n'ait été encore révélé, il est envisageable que les jeux PC/Mac à venir comprennent des fonctionnalités habituellement réservées aux consoles, comme le jeu à plusieurs en local. Croisons les doigts pour que cela devienne une réalité et pas juste un rêve.
Steam Controller - Très ou trop original?
Si on met de côté la polyvalence et la puissance des PC, ce qui les différencie le plus des consoles est très certainement leur périphérique principal. Je ne vous apprendrai probablement rien en disant que la combinaison clavier/souris s'avère infiniment plus agréable, confortable et efficace sur de nombreux types de jeu, entre autres les jeux de stratégie, les 4x et les FPS, alors que la manette l'est pour les jeux de baston ou de plateforme par exemple. Cependant il est difficile d'utiliser un clavier et une souris dans son canapé, et ils prennent beaucoup de place, qui plus est. Valve a donc décidé d'innover en proposant une manette à l'aspect très inhabituel disposant de deux track pads circulaires, accompagnés d'un écran tactile au centre. Pour ceux qui n'auraient pas encore saisi, il suffit de passer le pouce sur ces surfaces comme le ferait le laser de la souris, afin d'entrer les commandes.
L'ergonomie sera probablement à revoir : l'accessibilité de certains boutons, en particulier ceux entre les track pads reste douteuse. Vous n'avez que deux pouces après tout : bouger, pivoter et appuyer sur un bouton en même temps pour parler à votre équipe semble irréalisable.
Les track pads remplacent les joysticks et les croix directionnelles habituelles qui, bien que confortables, manquent généralement de précision. L'objectif ici étant de reproduire la précision et les mouvements rapides de la souris, ces derniers remplacent même les boutons de la souris lorsqu'on appuie, et il semble y avoir de grands espoirs au niveau des possibilités offertes par ces deux étranges cercles noirs (textures, retour de force, enceintes, la liste semble presque absurde). N'ayant évidement pas pu tester le Steam Controller je ne me prononcerai pas quant à l'efficacité ou au confort de la chose, mais dans l'absolu on ne peut que se féliciter qu'un acteur majeur du milieu du jeu vidéo tente d'introduire quelque chose de véritablement original. L'écran tactile servira à finir d'assurer une navigation aisée dans les différents menus Steam.
Sur une note secondaire, le Steam Controller a l'avantage d'être parfaitement symétrique, ce qui le rend tout aussi adapté pour les gauchers que pour les droitiers.
Pour en finir avec la manette, son introduction peut s'avérer d'autant plus importante pour les PC-istes si on prend en compte l'arrivée prochaine d'autres périphériques originaux tels que le très attendu Oculus Rift. Si les mouvements de la tête et du reste du corps doivent avoir un impact grandissant en jeu, un support plus « mobile » qu'un clavier et une souris, et qui peut donc être utilisé debout, s'impose. Et sincèrement, en ce qui me concerne, devoir utiliser un pad classique dans des jeux qui ne s'y prêtent pas sur PC me découragerait totalement d'investir dans ce genre de matériel.
Les retours et les améliorations à venir apportées au Steam Controller seront probablement déterminants dans son succès, cependant celui-ci sera peut être indépendant de la Steam Box. Si cette dernière est un échec, ce concept de pad pourrait néanmoins se démocratiser tout de même. L'inverse est aussi possible, avec une Steam Box utilisée en pratique avec les habituels Clavier/Souris ou avec un pad conventionnel.
Ctrl+Alt+Del est un digne représentant des nombreuses plaisanteries faites actuellement sur le Steam Controller.
Steam Machine - À chacun la sienne
Pour finir, une des annonces portait sur les (j'insiste sur le pluriel) Steam Machines. Depuis un an environ nous avions entendu parler de la Steam Box, avec un aperçu de la première machine nommée le Piston. Et là où nous pensions avoir une sorte de mini-PC/hybride à un prix très élevé (annoncé à presque 1000 dollars), nous avons en réalité un vaste choix de machines, pour offrir des fonctionnalités et un confort adaptés aux besoins et aux moyens de chacun.
Comme l'explique en détail Valve dans son annonce, bien qu'il existe une machine type dans leur projet, chacun sera libre de la modifier à sa convenance (carte graphique, processeur, même la carte mère). Il sera aussi possible d'acheter des machines spéciales vendues par d'autres sociétés, que cela soit des configurations premier prix qui se contentent de relayer le stream depuis un PC plus puissant, ou alors de véritables PC de combat capables de tout faire tourner seuls, sans besoin de stream via le wifi. On peut ajouter à cela des exigences individuelles comme le bruit, la taille, l'apparence du boitier, la présence de lecteurs, etc. Il sera même possible de créer entièrement sa propre machine en achetant les pièces individuellement, tous les détails nécessaires pour créer une Steam Machine devant être mis à disposition. De ce qu'il m'a été donné de lire, le premier prix serait donc situé à 150 euros, la machine « standard " à 300 euros, et il n'y a évidemment pas de limite supérieure au niveau du prix.
À titre d'information voici la liste des configurations envoyées aux 300 testeurs du projet :
Carte graphique : Certaines unités avec des NVidia Titan, certaines avec des GTX780, certaines avec des GTX760, et certaines avec des GTX660
Processeur : Certaines boites avec des Intel i7-4770, d'autres avec des i5-4570, et d'autres avec des i3
RAM : 16GB DDR3-1600 (CPU), 3GB GDDR5 (GPU)
Stockage : 1TB/8GB Hybrid SSHD
Alimentation : Internal 450w 80Plus Gold
Dimensions : Approximativement 30 x 31,5 x 7,4cm en hauteur
En cherchant le prix de chaque composant sur internet, on obtient donc une fourchette allant d'un peu moins de 450 euros à plus de 1500 euros, environ. Ce qui est pour le moment largement au-dessus des tranches de prix acceptables par beaucoup, d'autant que la carte mère n'est pas listée ici. Cependant, il n'est peut-être pas tout à fait à exclure qu'un « vieux » PC puisse être reconverti en Steam Machine pour un coût modique lors de l'achat d'un PC neuf, l'objectif étant vraiment de promouvoir les jeux PC au sens large dans le salon, et pas juste les blockbusters exigeant une machine très puissante. Il semblerait par exemple ridicule de dépenser 500 euros pour une machine de salon si vous voulez simplement jouer à des jeux indépendants ou à des titres ne demandant pas trop de puissance matérielle. Les titres de grande qualité du genre se comptent par centaines sur Steam, et leurs adeptes sont eux aussi nombreux.
Vidéo de présentation du Xi3 Piston - La première Steam Machine fabriquée par une société tierce
Un avenir pour la Steam Box?
Même si le Steam OS, le Steam Controller et les Steam Machines peuvent permettre de porter le jeu PC dans le salon dans de bonnes conditions (ce qui reste à voir), il est pour le moment impossible de déterminer si ce projet saura séduire les masses. Après tout, nous parlons ici d'achats additionnels afin de bénéficier des mêmes jeux que sur le PC, mais dans une autre pièce. Tout en sachant encore une fois que la majorité de ces jeux ne sont pas prévus pour du jeu multijoueurs en local, ce qui ne les adaptera donc pas pour autant à une soirée entre amis. Et comme mentionné précédemment, ce qui pousse beaucoup de joueurs vers les consoles est leur prix relativement réduit, ainsi que la bibliothèque de jeux exclusifs.
En dépit des promesses de Valve on peut difficilement considérer l'achat d'une Steam Box comme la solution la plus économique, dans la mesure où il faudra généralement un PC de jeu en parallèle. Et même si le prix des jeux est généralement très inférieur sur PC, ce qui est un argument de taille, il faudrait que les éditeurs et les développeurs changent de politique commerciale. C'est-à-dire qu'il faudrait davantage d'excellentes licences exclusives au PC, ou que le nombre de licences réservées à une ou plusieurs consoles diminue fortement. Avec l'arrivée de la PlayStation 4, et de la Xbox One, toutes deux supportées par deux super poids lourds du milieu, il n'y a fort à parier que les pressions de chaque côté soient énormes. On peut donc s'attendre à ce que le problème fondamental des exclusivités demeure tel quel pour encore un moment.
Ce qui fera probablement la force du Steam Universe au final est la liberté offerte à ses utilisateurs, et l'investissement additionnel demandé par Valve, qui n'est pas trop contraignant. Après tout il n'y a ici pas d'investissement majeur et encadré qui est imposé à l'utilisateur comme l'achat d'une console bien précise dans le commerce : s'il le souhaite il peut bidouiller sa propre Steam Box, et installer Steam OS dessus. Il n'a pas à acheter de jeux à 60-70 euros, mais simplement une manette spéciale (et encore). Il dispose alors de toute sa bibliothèque de jeux Steam.
Cela semble contredire mon paragraphe précédent, mais au final l'intérêt représenté par la Steam Box dépendra fortement des situations individuelles et des particularités de chaque joueur. Donc même si la communauté « Steam Box » est réduite et le demeure, rien ne l'empêche de rester vivante et alimentée en jeux frais indéfiniment. De son côté Valve n'aura que relativement peu de frais de maintien en service du projet une fois celui-ci lancé, puisqu'ils ne produiront et ne distribueront pas vraiment de machines, et que tous leurs jeux sont dématérialisés. Même leur SteamOS pourrait potentiellement être maintenu à jour par la communauté si nécessaire. Il reste à voir si le projet réussira à se populariser, par Valve lui-même ou par ses utilisateurs, potentiellement via son utilisation dans le milieu de l'eSport ou encore tout simplement par son aspect très social et divertissant qui pourrait être montré lors de streams et d'émissions similaires à celles de nos Web TV.
Que pensez-vous de la Steam Box et des éléments qui l'entourent? Qu'est-ce qui vous attire ou vous rebute dans cette nouveauté?