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Esport - Entretien avec Nicolas Besombes, Partie 1

Esport - Entretien avec Nicolas Besombes, Partie 1
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Les jeux vidéo et leurs effets sur l’être humain, l’encadrement de la pratique compétitive, la structuration de l’écosystème et le manque de fédérations esportives. Première partie de l’entretien avec El Profesor de l’esport.

Esport - Entretien avec Nicolas Besombes, Partie 1

Histoire de bien situer qui tu es, peux-tu te présenter et nous expliquer brièvement quelle est ta place dans l’esport ?

Je suis maître de conférence en STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives, ndlr) à l’université de Paris. Mon objet de recherche, depuis mes travaux de thèse de doctorat, concerne le sport électronique ; notamment la dimension sportive de l’esport. Et, parallèlement, je suis vice-président chargé des questions de santé, de société et d’éducation au sein de France Esports. Mon lien avec l’esport se situe donc principalement autour de cette association qui a des missions plutôt institutionnelles et structurantes du secteur.

En juillet dernier, un tweet t’a fait bondir : un visuel, visiblement initié par la Fédération Française de Karaté, sensibilisait les parents en leur demandant d’inscrire leur enfant à leur cours, plutôt que de jouer aux jeux vidéo. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez ces gens-là ?

(Rires.) Alors déjà, pour être totalement honnête : j’avais peut-être tweeté un peu rapidement… Parce qu’après quelques petites recherches, il s’est avéré que ce n’était pas une communication officielle de leur part, mais un détournement par des groupes sur Facebook. Donc, pour en avoir discuté avec la fédé, ça ne venait pas du tout d’eux, et ils condamnaient plutôt ça. Mais ce qui de manière générale a tendance à me faire bondir, c’est de tout le temps vouloir opposer la pratique sportive et la pratique vidéoludique.

Tu as un exemple en tête ?

Il y avait eu une campagne, pour le coup bien réelle, de la part de la Fédération Française de Cardiologie qui, pour encourager les jeunes générations à pratiquer des activités physiques, avait fait un spot publicitaire. À la fin, on voyait un adolescent assis sur un canapé, en train de jouer aux jeux vidéo, avec plus ou moins un slogan qui disait : est-ce que c’est ce que vous souhaitez pour l’avenir de vos enfants ? Ce qui m’ennuie considérablement avec ça, c’est cette représentation d’un gamer qui serait fondamentalement isolé socialement, sédentaire, qui n’aurait que des pratiques obsessionnelles et compulsives. Alors qu’aujourd’hui les travaux de recherche déconstruisent tous ces préjugés.

C’est-à-dire ?

On sait que le joueur de jeux vidéo est quelqu’un qui est tout à fait capable — comme ses semblables dans la société — de sortir, d’aller voir ses amis, de pratiquer une activité sportive, des activités culturelles… Donc, réduire le gamer à certains préjugés, ça a tendance à m’exaspérer.

Cela risque pourtant de durer encore longtemps : les préjugés ont la peau dure dans l’opinion publique qui perçoit trop souvent les jeux vidéo - le socle de l’esport — comme addictifs.

Il n’y a pas de consensus aujourd’hui autour du thème de l’addiction. L’OMS parle de gaming disorder (trouble du jeu vidéo, en VF), que l’on pourrait traduire par des troubles comportementaux. Au sein de la communauté scientifique, pour avoir une terminologie plus juste, on parle de pratique compulsive. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’on voit bien lors des cas accueillis par des psychothérapeutes, des psychologues — notamment en psychologie clinique —, et les centres spécialisés là-dessus, qu’il y a souvent des facteurs de comorbidité (présence d’un ou de plusieurs troubles associés à un trouble ou une maladie primaire, ndlr). On remarque donc la présence de troubles psychologiques en amont de la pratique du jeu vidéo. La pratique compulsive est bien plus souvent un symptôme ou un révélateur de ces troubles-là, ou d’un mal-être plus global, plutôt que la cause du mal-être en question.

« Ceux qui disposent de cette dimension, levez la main ! » - Millenium
« Ceux qui disposent de cette dimension, levez la main ! »

On expose donc très souvent des points négatifs, parfois faux, sur le jeu vidéo et l’esport. Mais quels sont leurs bienfaits ?

Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses recherches s’axent autour des effets bénéfiques de la pratique de certains jeux vidéo sur différentes parties du corps ; qu’elles soient physiques, psychologiques, ou déterminantes pour la sociabilité. On a par exemple observé que la pratique de certains jeux permet de développer des compétences en matière d’acuité visuelle, de coordination œil-main, de dextérité (habiletés manuelles fines) ou de vision périphérique. Il y a aussi des travaux qui permettent de constater un développement des compétences cognitives, comme pour Starcraft : un jeu de stratégie en temps réel permettant de développer la flexibilité cognitive (créativité), mais aussi l’analyse rapide et le traitement des informations, l’attention soutenue dans le temps, l’attention partagée entre plusieurs tâches, la mémoire à long et court terme, les différentes mémoires sensitives… Plein de compétences utiles dans la vie de tous les jours, en fait. Et puis il y a tout l’aspect de la gestion des émotions, avec le fait d’affronter d’autres joueurs, d’apprendre à gagner et à perdre, de devoir gérer son stress. Plus récemment, certains travaux ont également mis l’accent sur l’aspect collaboratif de certains jeux qui permettent de développer des compétences en communication, en leadership, le fait d’avoir un rôle à jouer dans un groupe et de devoir assumer certaines tâches.

Ceux qui ne voient dans les jeux vidéo que le diable incarné risquent d’avoir mal à la tête en voyant tous ces bienfaits potentiels…

Loin de moi l’idée de vouloir dire que le jeu vidéo développe automatiquement toutes ces compétences. Mais lorsque c’est bien encadré, certains jeux permettent de développer certaines compétences.

Tu fais bien d’évoquer l’encadrement. Est-ce qu’on pratique le sport électronique comme il faut en France ?

Disons que l’une des grandes forces de la pratique du jeu vidéo, et notamment de l’esport, c’est d’avoir une certaine forme d’autonomie par rapport à tous les cadres plus institutionnels qui existent dans le monde sportif et culturel. Ce qui a permis de faire se rassembler les premiers groupes de joueurs sous forme de clan, de guildes, puis d’équipes devenues totalement indépendantes. Ce qui a procuré un vrai dynamisme et de véritables nouvelles organisations sociales en dehors de tout cadre. Et c’est plutôt intéressant. Mais l’une des plus grosses difficultés, c’est lorsqu’il s’agit d’accompagner des jeunes populations sur la pratique pure. On va dire que des dérives peuvent apparaître.

Lesquelles ?

L’hygiène de vie, l’intensité de temps de jeu, le manque de temps de repos…

Tout l’inverse du sport, j’imagine.

Le sport bénéficie de politiques publiques mises en place depuis des décennies. Elles permettent de former des gens, via des parcours diplômants, pour encadrer les jeunes sportives et sportifs et leur transmettre des valeurs, que ce soit de rigueur, de travail, ou de respect des consignes. Des choses qui vont leur permettre de grimper les échelons dans la hiérarchie compétitive, en passant d’un niveau départemental à un niveau régional, puis national, voire international. Ce qui est aujourd’hui plutôt manquant dans l’esport. C’est ce qui a potentiellement amené certains jeunes joueurs à adopter une pratique de l’esport un peu chaotique. Sans rationalisation de l’entraînement, sans échauffement, sans objectifs et consignes à suivre, sans un apprentissage de l’échec et un respect de l’adversaire.

Il faudrait donc former davantage les formateurs qui se chargent de former les joueurs ?

Cette question est centrale pour le secteur. Jusqu’à présent, tous les staffs se formaient de manière autodidacte. Et bien évidemment, même si certains d’entre eux sont extrêmement compétents dans ce qu’ils font, une majorité de ces nouveaux éducateurs, animateurs, et coachs 2.0 ont la nécessité de se former plus complètement sur les questions de la performance, des sciences de l’intervention et du management, mais aussi de la santé des joueurs.

Un changement radical des mentalités et des pratiques semble nécessaire...

On a de plus en plus de structures esportives en France qui ont conscience de ces aspects-là. Parce qu’il est de plus en plus évident que les jeunes esportifs ont des manquements. Donc on voit des staffs au plus haut niveau, et même au niveau des plus petites associations, qui sont de plus en plus éveillés à ces questions-là. Ils essaient d’apporter, de manière plus ou moins autodidacte, des solutions et un maximum d’outils. Et parallèlement à ça, nous avons aussi les pouvoirs publics français — les ministères de l’Économie, des Sports, et certaines collectivités territoriales — qui essaient d’encourager une pratique socialement valorisante de l’esport. C’est d’ailleurs l’un des axes de la stratégie nationale pour 2020-2025 portée par le gouvernement. L’esport a clairement de quoi être reconnu comme une pratique sportive et culturelle, mais qui nécessite un encadrement fournissant les meilleures pratiques pour les plus jeunes générations. Notamment dans un souci de professionnalisation saine de l’écosystème dans son ensemble.

Quand il te regarde comme ça, tu sais que t'as tout gagné... - Millenium
Quand il te regarde comme ça, tu sais que t'as tout gagné...

À qui reviennent justement le pouvoir et la responsabilité de développer un écosystème esportif sain ? Les éditeurs de jeux ? Les clubs professionnels ? Les structures associatives ? L’État ?

À mon sens, c’est une responsabilité partagée entre tous ces acteurs. Même si, bien évidemment, se trouvent à l’origine les éditeurs, étant détenteurs de la propriété intellectuelle des jeux sur lesquels se déroulent les compétitions. Et, de fait, quand ils structurent leur écosystème sur un système pyramidal, c’est-à-dire avec des grandes compétitions mondiales, continentales, puis nationales. Ils ont un grand rôle à jouer sur la régulation et sur l’encadrement des joueurs qui participent à leurs tournois. Mais les équipes qui rayonnent au travers de ces compétitions ont aussi une responsabilité à assumer. D’un point de vue éthique d’abord, mais aussi d’un point de vue économique, dans le sens où ces équipes investissent sur des joueurs qui deviennent des investissements dont il faut tirer des bénéfices sur le plus long terme possible. En d’autres mots : ils doivent faire en sorte d’avoir des joueurs qui puissent réaliser la carrière la plus longue possible au plus haut niveau. Ensuite, le rôle de l’État est extrêmement important, puisque c’est lui qui, via la mise en place de politiques publiques, peut identifier les actions prioritaires pour le développement du secteur esportif en vue de lui assurer son soutien.

Et les parents, dans tout ça ?

L’entourage, qu’il soit familial ou amical, a lui aussi un rôle à jouer sur ces questions. Il est important que les parents ne se désintéressent pas de la pratique de leurs enfants. De la même manière qu’ils sont susceptibles de les accompagner à une compétition de judo, de basket, ou d’équitation, il est important qu’ils soient capables de nourrir une relation avec eux, autour de leurs centres d’intérêt que peuvent-être le jeu vidéo et l’esport.

Il existe depuis longtemps un débat sur la reconnaissance de l’esport comme un sport. Qu’on se situe dans un camp, dans l’autre, ou au milieu, pour toi, sur quels fondements l’esport doit-il s’inspirer du sport, et à l’inverse, qu’est ce qu’il ne devrait pas reproduire ?

L’un des grands avantages du sport, c’est que comparativement à l’esport, son histoire est beaucoup plus longue. Le sport moderne comme on le connaît aujourd’hui, cela fait près de deux-cents ans qu’il s’est structuré. Il a donc pu servir de laboratoire d’expérimentation pour l’esport. La plupart des erreurs que pourrait connaître l’esport, le sport les a déjà connues. Et pour lutter contre les différentes dérives imaginables, le sport a mis en place une multitude d’outils. Que ce soit en matière d’éthique, d’intégrité compétitive, d’enjeux sanitaires, ou des combats sociétaux. Même si on est évidemment loin d’avoir atteint la perfection. Et c’est justement là que l’esport peut bénéficier du sport : en prenant les meilleures pratiques qui existent dans le sport pour inspiration, et en évitant toutes les dérives.

Il y a un élément qu’on n’a pas abordé et qui pourrait pourtant fortement aider à la compréhension du manque de structuration du secteur : l’absence, quasi totale, de fédérations reconnues et approuvées dans le milieu. Comment expliquer un tel vide ?

L’esport repose sur un modèle entièrement spécifique : la pratique d’une activité sur des propriétés intellectuelles appartenant à des sociétés privées que sont les éditeurs. Là où le sport, qui s’est organisé sous un système fédéral, n’a pas de son côté à prendre cette problématique en considération. Aujourd’hui, ce qui se rapproche le plus d’une fédération sportive dans l’esport, c’est l’éditeur. Le rôle principal d’une fédération sportive délégataire du ministère des Sports étant d’organiser les compétitions et les réguler, c’est exactement ce que font les éditeurs. On peut très bien imaginer, à terme, que des entités puissent émerger aux niveaux nationaux et internationaux de manière légitime, mais elles ne pourraient pas se passer de la représentativité des éditeurs en leur sein.

Existe-t-il déjà des entités de ce genre ?

Des fédérations internationales d’esports qui existent à travers le monde ? J’en ai comptabilisé six, dont deux principales qui « cohabitent ». L’une d’entre elles, l’IeSF (International Esports Federation), est principalement constituée de pays qui, du mieux qu’ils peuvent, via des fédérations nationales, essaient d’être représentatifs de leur écosystème. Mais rares sont ceux qui ont les éditeurs de leur côté. Et de l’autre côté, la GEF (Global Esports Federation), plus récente, qui elle, au contraire, intègre en son sein le soutien de certains éditeurs comme Tencent. Mais qui est par contre moins cosmopolite, et donc moins représentative de l’écosystème mondial.

On dirait que, en travaillant ensemble, ces deux fédérations pourraient se compléter et cocher toutes les cases pour devenir la fédération reconnue par tous.

Il y a aussi un autre modèle à prendre en compte, qui est celui d’une fédération des éditeurs qui existe au niveau international : l’ISFE (Fédération européenne des logiciels interactifs, ndlr). Depuis près d’un an, cette institution a créé un département esport avec tous ses éditeurs membres ayant des pratiques compétitives sur leurs jeux. Ce qui pourrait constituer, finalement, le réel organe régulateur de l’esport à l’échelle internationale. Selon moi, l’objectif à atteindre serait que l’ISFE puisse collaborer avec l’IeSF ou la GEF, ou qu’il y ait une fusion de ces trois acteurs, ce qui permettrait d’avoir une représentation globale du secteur, avec les réels régulateurs essentiels à l’écosystème et l’ensemble des nations représentées. Là, on aurait une entité internationale forte, et véritablement régulatrice de l’écosystème esportif mondial.

Mais qu’est-ce que les éditeurs auraient réellement à gagner en s’associant à des fédérations ? À la base, ils pourraient voir cela comme une contrainte, plutôt qu’une opportunité non ?

Le fait est qu’aujourd’hui, chez les éditeurs, pour le dire très honnêtement, il n’y en a aucun qui pourrait tout faire tout seul. Structurer un écosystème, s’assurer de son équité esportive, de son intégrité compétitive, favoriser des enjeux sociétaux comme la diversité, s’assurer que la prévention de la santé des joueurs est acquise… (Il coupe et reprend) Ce n’est pas forcément leur rôle, et ils n’ont pas toutes les ressources humaines et financières pour le faire. Il y a, à mon sens, une place pour des entités telles que les fédérations, pour venir apporter une valeur ajoutée à ce que font déjà les éditeurs.

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Nicolas Besombes : « L’impact de la crise sanitaire sur l’esport est paradoxal »

France Esports, la vision du gouvernement sur le sport électronique, le clivage économique entre le top et le subtop, les écoles d’esports, le Comité International Olympique. Deuxième partie et fin du rendez-vous avec le sociologue esportif préféré de ton sociologue préféré.

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Christopher Lima
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Chris « LuZi » Lima - Rédacteur esportif

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