Si aux Etats-Unis le média peut être utilisé à des fins positives dans une campagne politique, mieux s'il s’intègre comme un agent positif de l'image de celle-ci, qu'en est-il en France ? Quels rapports entretiennent nos politiques avec « cette culture » et comment est utilisée son image dans la promotion de la politique que ces hommes et femmes mènent au quotidien ? La France est-elle un pays rétrograde à ce niveau ?
Premièrement, il existe une reconnaissance de l’État français concernant les créateurs de jeux vidéo. Ils sont peu nombreux ceux qui ont pu recevoir de la part du pouvoir ce témoignage honorifique, un signe qui potentiellement vous donne une idée du chemin qu'il reste à accomplir. Shigeru Miyamoto, le géniteur de Mario et de Zelda, Game Designer légendaire de Nintendo a été fait Chevalier de l'Ordre des Arts et Des Lettres en 2006. Il était alors reçu par Renaud Donedieu de Vabres, et était accompagné par Michel Ancel (le démiurge de la série Rayman) et Frédérick Raynal (le créateur du mythique Alone in The Dark), pour recevoir leurs médailles et ainsi entrer dans l'Histoire de la culture française, les pixels fiers.
Il ne sont pas les seuls à avoir connu pareil témoignage, bien avant eux un autre développeur a lui aussi reçu cette récompense, on l'oublie trop souvent. Et « Cocorico » il est aussi français ! Philippe Ulrich - ce nom ne dira pas grand chose aux plus jeunes et c'est bien dommage - développeur du génial « L'Arche du Capitaine Blood » co-écrit avec Didier Bouchon (remember l'intro musicale de Jean Michel Jarre <3 ?) et sorti en 1988, a été lui aussi récompensé de la même médaille en 1999. Si le jeu vidéo reste marginal chez les personnalités récompensées de l'Ordre, son émergence tardive sur la scène nationale tend à prouver que les choses avancent. Comme dirait le Roi : « Les choses se passent ».
Deuxièmement, comme vous le savez peut-être (surtout si vous avez lu notre dossier paru il y a quelques semaines) , le jeu vidéo s'invite de plus en plus à l'école. Et à ce niveau, le gouvernement semble bien plus tolérant concernant son image. Tant que le média reste au service d'une activité éducative, presque « morale », un outil de la promotion intellectuelle, il est systématiquement soutenu comme le montrent les exemples les plus récents. Mieux, il a même ses portails attitrés sur le site officiel du Ministère de l’Éducation Nationale. Pas mal n'est-ce pas ?
Pas mal, oui. Par contre dès que le jeu-vidéo entre dans le débat public, c'est une toute autre histoire. « Violent, amoral, ou abêtissant » , les qualificatifs péjoratifs fusent. Et souvent pour créer le « buzz » le politique utilise le jeu vidéo comme une rampe de lancement positive de son discours en en caricaturant les codes ou la portée. Un des plus gros « buzz » à ce niveau reste celui d'une twitteuse célèbre, une femme politique que l'on ne connaissait pas vraiment avant cette affaire.
Nadine Morano s'emparait, à la sortie de GTA 4, de l'espace médiatique en s'opposant farouchement à « ces jeux à la con », des jeux qu'elle jugeait « amoraux » et pour lesquels elle invitait les parents à la « vigilance. » Quelques mois plus tard on la voyait dans son salon, posant dans Paris Match, avec ses enfants devant, guess what ? , on vous le donne en mille, le jeu de Rockstar qu'elle dénigrait tant. La boucle était bouclée.
Faire la promotion d'un moment familial devant un jeu vidéo n'était pas en soi une mauvaise idée. Par contre, dommage de le faire devant le jeu qu'on dézinguait quelques semaines plus tôt. Le coup de pub est énorme. En France on aime ça, les contradictions. Nadine Morano qui ne twittait pas encore à l'époque, s'est justifiée tant bien que mal, GTA 4 « avait été prêté à son fils par un ami ». Affaire classée.
Le jeu-vidéo devient un sujet sensible à bien des égards. Le loisir préféré des français revient souvent dans le débat public et entraîne à chaque fois des commentaires de plus en plus nombreux. Sur internet on « commente tout » et avec tout le monde, forcément l'effet boule de neige est démultiplié quand arrive ce petit moment dont tout le monde s'emparera au premier débat venu.
Quand Carla Bruni, par exemple, décide un jour de se positionner contre certaines dérives : « Pour l'aspect psychologique et l'éducation des enfants, il faut évidemment limiter le temps passé devant la télévision. À mon sens, Internet ou les jeux vidéo sont bien plus diaboliques que la télé, qui en serait presque devenue sage. » C'est toute la blogosphère qui s'empare de l'affaire et découpe l'ex Première Dame qui n'avait pas besoin d'être rhabillée pour l'hiver. L'ex top-model choisit d'ailleurs elle-même ses tailleurs. Ou encore, quand Laure Manaudou, notre nageuse olympique auréolée d'or après les événements de Toulouse affiche un « Supprimez ces jeux vidéos à la c...Et ça ira déjà mieux ! » En quelques heures elle est harcelée, à tel point, qu'elle fermera son compte Twitter dans la foulée. Rude.
Politique française et jeu vidéo, incompatibilité totale ? Eh bien non ! Par contre, on ne peut pas dire que la façon de se promouvoir par le média, ni que la communication via le jeu, aient eu un impact fulgurant ou véritablement significatif sur les campagnes des élus qui les ont menées. Prenons par exemple le cas de Ségolène Royale qui s'affichait en 2007 comme une utilisatrice de Second Life.
Décor minimaliste, mise en scène qui rappellerait presque un film de la grande époque du cinéma roumain, et pourtant démarche avant-gardiste pour mettre sa région au centre et au service d'un univers virtuel. Ou quand la miniaturisation des composants agit sur le réel. On finira bien un jour par inviter la physique quantique en politique si ça continue.
Devant cette vidéo, qui a du vous rappeler que Second Life a existé et qu'il mériterait d'avoir autant de vies qu'un chat chinois pour revenir sur le devant de la scène, on pourrait aussi signaler l'approche plus expérimentale encore de François Bayrou. Entre le concept arty et le pittoresque traditionnel vintage, le candidat du MoDem s'est illustré cette année grâce à un objet visuellement identifiable par les geeks sur son site de campagne officiel.
On notera l'effet de la calligraphie très « centre droit », le pixel soyeux plus gauche nouvelle tendance, et une bande-son ultra conservatrice qui plaira forcément aux acharnés de l'Histoire du jeu-vidéo. En France aussi le jeu vidéo s'est invité dans la politique et dans le débat national, preuve s'il en est, de sa popularité et son essor.