L'impopularité de Babylon's Fall a permis à l'annonce de sa fermeture précipitée de ne pas faire trop de vagues, mais même sans être directement concerné par le sort de ce jeu désastreux, on peut légitimement trouver la situation honteuse. Il est aussi légitime d'avoir peur d'être affecté tôt ou tard par les pratiques sans scrupules d'un studio ou d'un éditeur, qui n'hésitera pas à fermer un jeu que vous avez payé, et à vous laisser sans aucun recours ni dédommagement.
Cet article est un billet d'humeur. Il est bien évidemment très subjectif, et ne reflète que mon ressenti "intime" sur une question.
Babylon's Fail
Revenons rapidement sur ce désastre, afin d'offrir un peu plus de contexte. Initialement annoncé durant l'E3 2018, Babylon's Fall était présenté comme une sorte de "Souls Like" développé par le populaire studio PlatinumGames (Bayonetta, Metal Gear Rising, Nier: Automata), avec une sortie prévue pour 2019 sur Steam et PS4, comme nous le rappelle ce trailer d'époque. Quelques années sont passées sans donner de nouvelles, mais le jeu a fini par réémerger sous la forme d'un hack and slash multijoueur exclusivement en ligne, ce qui n'est pas très bien passé auprès de nombreux joueurs intéressés par l'annonce initiale.
Finalement, Babylon's Fall est sorti le 3 mars 2022 (soit avec 3 ans de retard) sur PC, PS4 et PS5, et le moins qu'on puisse dire, est que les reports n'ont pas suffi à sauver le projet. On ne va pas vous refaire le test ici, mais le jeu est très laid, il est affligé d'une direction artistique originale mais complètement ratée, qui nuit à sa lisibilité. Le gameplay est générique et sans intérêt lui non plus. Il a réussi l'exploit d'être le jeu le plus mal noté sur Metacritic depuis de nombreuses années, avec une moyenne de 41 sur PS5. Sa monétisation n'a certainement pas donné de raisons d'être tolérant, puisque Babylon's Fall est vendu au tarif plein, à 69,99 € même sur Steam à sa sortie, avec une édition deluxe qui ajoutait 30 euros à l'addition. Mais ce n'est pas tout, en plus, il a adopté un modèle économique de jeu "Free to play", avec différents cosmétiques payants, un Passe de combat à 10 euros et des packs de monnaie premium allant jusqu'à 100 euros. Il est difficile de dire si c'est de la bêtise pure ou une tentative désespérée de rentabiliser l'investissement en espérant que les joueurs n'y verraient que du feu.
Les chiffres de vente exacts de Babylon's Fall sont inconnus, mais si on se base sur les données détenues par SteamDB, il est estimé que 8 800 à 24 200 joueurs possèdent le jeu sur Steam, ce qui est misérablement bas. Babylon's Fall est peut-être plus populaire sur Playstation, mais il ne faut pas s'attendre à une différence énorme. Cela nous réchauffe le cœur de voir que les joueurs ne sont pas tombés en masse dans le piège à pigeons. L'intérêt pour le jeu est dans tous les cas tombé très vite, avec un maximum de joueurs simultanés de 1 188 sur Steam, et un seul joueur présent en jeu la majorité du temps depuis des mois. Square Enix et PlatinumGames ont fait la promesse creuse d'améliorer le jeu, comme c'est toujours le cas après ce genre de déconvenues.
Nous arrivons enfin au point qui nous intéresse dans le cas présent. Ce 13 septembre, soit à peine plus de 6 mois après la sortie de Babylon's Fall, l'annonce de fermeture du jeu et de ses serveurs est arrivée sur le site officiel. Tous les services du jeu seront coupés le 27 février 2023, soit un peu moins d'un an, à quelques jours près, du premier anniversaire de sa sortie. Précisons bien que Babylon's Fall est un jeu exclusivement en ligne, les joueurs qui ont payé 100 euros à sa sortie, puis qui ont continué de payer depuis pour s'acheter des objets doivent être ravis de tout perdre. Même si les joueurs dotés d'un peu de bon sens ont certainement quitté le jeu depuis longtemps, la situation semble tout de même anormale, voire injuste. Et ce n'est pas la première fois qu'un cas de figure du genre se présente.
Le sauvetage d'Anthem sabordé
Un autre exemple célèbre dans ce domaine est Anthem, développé par Bioware (Baldur's Gate, Dragon Age, Mass Effect) et édité par Electronic Arts. Il propose de contrôler des exosquelettes qui ont l'air d'avoir été piqués à Tony Stark, afin d'explorer un monde ouvert, et effectuer des missions à 4 en coopératif. Le jeu n'est pas aussi désastreux que Babylon's Fall, mais il a pas mal d'éléments en communs, comme un prix élevé et une boutique premium, malgré un gameplay assez décevant et truffé de bugs. Pourquoi est-ce que les éditeurs cherchent toujours à monétiser davantage les jeux pourris ? On croirait remarquer une tendance. Comme toujours, l'éditeur a promis de sauver le jeu, en lui dédiant une équipe afin d'effectuer une refonte, nommée Anthem Next. Finalement, le projet a été avorté par EA début 2021. Au moins, la fermeture des serveurs n'a pas (encore) été annoncée, mais les joueurs s'attendent à ce que cela arrive tôt, plutôt que tard.
Une intervention du législateur requise ?
L'exemple de Babylon's Fall pointe une nouvelle fois du doigt un des problèmes de l'économie et des biens virtuels, en particulier dans le domaine des jeux vidéo. Les joueurs ne possèdent plus leurs jeux, et ils sont bien mal protégés si la plateforme sur laquelle se trouve leur ludothèque ferme, même si on a échappé à un tel cas de figure pour le moment. Les exemples de jeux en ligne qui ferment leurs portes ne manquent pas, et il ne semble pas y avoir de régularisations dans ce domaine pour le moment, même en Europe. Les offres de remboursement suite à un achat erroné se sont bien améliorées ces dernières années, mais il ne semble pas encore y avoir de mentions légales concernant l'obligation de maintenir des services en ligne durant une certaine période, ni d'avoir à dédommager les joueurs qui perdent accès à tout ce qu'ils ont payé.
Les sommes restent relativement modestes dans le cas de Babylon's Fall, mais pour des jeux comme Diablo Immortal, dans lequel des joueurs ont parfois investi des dizaines de milliers d'euros, cela prend une tout autre dimension. Un détail amusant est que les jeux à NFT sont aussi concernés, et des investissements massifs en termes de temps et d'argent ont déjà été réduits à néant lorsque les responsables du projet disparaissent, ou que le jeu ferme ses portes. C'est aussi ce qui explique que l'on en entend plus trop parler dernièrement.
Pour en revenir à Babylon's Fall, à défaut d'avoir des obligations légales, il serait tout de même plus avisé de la part de Square Enix de faire un geste commercial. Proposer aux possesseurs de Babylon's Fall de choisir un ou plusieurs jeux Square Enix/PlatinumGames sur la même plateforme en guise de dédommagement permettrait certainement de réparer un peu son image, plutôt que d'encourager des joueurs frustrés à tenter leur chance au tribunal.
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